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"LA FIN DU SILENCE ?"- Une émission de France 3 de mars 2000 devenue terreau de la complosphère.

Dernière mise à jour : 10 nov. 2021


Il a suffi de ce tweet de Francis Lalanne pour se rendre compte qu’une émission vieille de 21 ans alimentait toujours les fantasmes de la complosphère sur l’existence de réseaux pédo-satanistes.


Une émission diffusée à 23h00 sur France 3, animée par Elise Lucet et composée d’un reportage et d’un débat à charge.

Mais avant de nous pencher sur ce programme, replongeons-nous dans le contexte de l’époque…



Affaire Dutroux


Opération Ado-71 - réseau Toro Bravo


Affaire CD-ROM Zandvoort

Le 24 février 2000, L’Humanité fait sa une sur le fichier de Zandvoort, contenant les portraits de 470 mineurs, établi par la police néerlandaise suite à la découverte d’un cd-rom contenant des images pédopornographiques.

Si les autorités néerlandaises ont stoppé leur enquête en avril 1999, un non-lieu est rendu en avril 2003 par le Parquet des mineurs de Paris



FRANCE 3, 27 MARS 2000, 23H00:



Présenté par Elise Lucet sur le thème: « la parole des enfants face à la Justice »


Le reportage coréalisé par Pascale Justice, journaliste à France 3, s’intéresse aux récits macabres de deux enfants, Pierre et Marie, dont les parents sont séparés, relatant des viols et des meurtres d’enfants lors de cérémonies secrètes dont leur père aurait fait partie. Cérémonies où, selon eux, des têtes d’enfants sont « au bout de piques ». Le pire de l'horreur à Paris.

Selon ce reportage, le père est accusé d’agressions sexuelles envers son fils. Des examens médicaux sont effectués trois mois après les faits mais ne révèlent rien.

En 1996, les deux enfants sont entendus par la Brigade de Protection des Mineurs. Le père est mis sur écoute téléphonique.

Une enquête démarre mais les policiers ne retrouvent pas les lieux décrits par les enfants.

Et toujours selon le reportage, le manque de moyens aurait empêché les policiers de procéder à des filatures.

Suite aux écoutes, les enfants identifient les voix comme étant celles de leurs agresseurs. Le père est mis en examen en 1997.

L’équipe de France 3 nous annonce que les pédopsychiatres et médecins ayant rencontré les enfants n’ont jamais été entendus par la justice.

Le 30 novembre 1998, le juge ordonne un non-lieu faute de preuves.

A la fin du reportage, nous apprenons que les deux enfants sont partis vivre à l’étranger avec leur mère.




LE DEBAT, une succession de dérapages


Lors du débat animé par Elise Lucet, plusieurs intervenants pour réagir:

- Frédérique Bredin, députée et rapporteur de la loi Guigou (répression des infractions sexuelles)

- Martine Bouillon, substitut du procureur au Tribunal de Bobigny

- Martine Drisse, thérapeute familiale

- Georges Glatz, fondateur du Comité International pour la Dignité de l’Enfant.

- Jean-Yves Le Guennec, Chef de la Sureté des Hauts de Seine et en charge d’une Brigade de Protection des mineurs.


Il faut rappeler que deux ans plus tôt, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs prévoit que :

« …l’audition d’un mineur victime d’une infraction sexuelle devra faire l’objet d’un enregistrement sonore ou audiovisuel. Un tel enregistrement est en effet de nature à limiter le nombre des auditions de la victime (…) »


La députée Frédérique Bredin est sidérée par le témoignage des enfants tout en restant prudente en ajoutant: "Si les choses qui nous sont montrées sont justes."

Réponse d'Elise Lucet: "...à l'issue d'une enquête d'un an et demi, je vous le rappelle"


L’argument sur la durée de l’enquête, est-il légitime et suffisant pour juger de sa qualité ?

Pas forcément, surtout si le reportage est à charge et bourré de biais de confirmation. (cela sera démontré par l’équipe d’« Arrêt sur Images »de Daniel Schneiderman, nous y reviendrons plus tard…)


Durant le débat, Georges Glatz du Comité International pour la Dignité de l’Enfant va mettre en cause la magistrature et la police française.

Dubitatif, Jean-Yves Le Guennec, Chef de la Sureté des Hauts de Seine, va avoir maille à partir avec des interlocuteurs convaincus.

Malgré sa défense et n’excluant pas l’existence de réseaux organisés, ses arguments basés sur des faits, et son retour d’expérience, lui sont reprochés.


D’ailleurs, Elise Lucet va s’y mêler sans réserves…

Interrogé sur de supposés réseaux structurés de trafic d’enfant en France, Jean-Yves Le Guennec ne cesse de répéter qu’il en ignore l’existence.


Elise Lucet lui rétorque : « Vous êtes en train de nous dire que c’est comme le nuage de Tchernobyl, ça s’est arrêté à la frontière française ? » (sic)


Jean-Yves Le Guennec répond immédiatement : "Non, je ne sais pas !"


Le rubycon est allègrement franchi avec LA question portant sur la prétendue existence de « charniers d’enfants » ?

Georges Glatz se lance le premier en parlant de soi-disant snuff-movies avec meurtres d'enfants s'échangeant sous le manteau.

Puis Martine Bouillon, la substitut du procureur du tribunal de Bobigny, déclare que des charniers d'enfants existent en région parisienne, qu'une instruction est en cours et quelle ne peut en dire plus... Sidération sur le plateau.


On notera que le thème principal du débat « La parole des enfants face à la justice » est largement oublié.




Fact Checking à l'époque:


Libération 11 mai 2000


En mai 2000, les journalistes Françoise-Marie Santucci et Armelle Thoraval publie dans Libération : « Les lacunes d’un sujet choc de France 3 » où elles font part de plusieurs points problématiques :

« L'ensemble du reportage tend à démontrer que la juge d'instruction comme la brigade des mineurs n'ont pas fait leur travail. La preuve: ils n'ont même pas tenté de filer le père et ses amis. La preuve encore: la brigade des mineurs n'a pas retrouvé le fameux immeuble. Autre élément «à charge»: une confrontation est organisée à la brigade des mineurs entre le père et l'enfant, et, comme le suggère le reportage de France 3, on a obligé la petite à s'agenouiller face au père, pour «reconstituer» une scène de fellation.”


Sur ce point, les deux journalistes soulignent que :

« Quant à la confrontation, elle ne s'est pas déroulée comme le laisse entendre le reportage. La brigade des mineurs ne met jamais l'enfant face son accusateur, mais de dos, chacun dans un coin de la pièce. »


Sur l’expertise psychologique :

“Les psychologues sont nombreux à intervenir dans ce reportage; pourtant, le rapport de l'expert national Michel Dubec, à peine mentionné, dit ceci à propos de la petite: son discours apparaît «construit comme à la manière des adultes»

« Il conclut: «Elle documente ce que l'adulte semble tant vouloir entendre et ce qui lui vaut d'être pour un temps au coeur de son attention.»



Arrêt sur images


Le 14 mai 2000, « Arrêt sur images », alors diffusée sur France 5, se penche sur l’émission.

Daniel Schneidermann annonce que Pascale Justice, coréalisatrice du reportage, n’a pas souhaité débattre sur leur plateau. Et ce, malgré les tentatives d’Emmanuelle Walter, chargée de la contre-enquête avec France Harvois.

Daniel Schneidermann & Emmanuelle Walter



Premier point :

Paul Bensussan


Invité sur le plateau, Paul Bensussan, expert psychiatre près la Cour d’appel de Versailles, donne son avis en déclarant que « les 15 entretiens sont de la violence à enfants qui relève presque d’un délit » et rajoute « que le père a porté plainte ».


Il insiste également sur les questions « hautement suggestives » posées par la journaliste aux enfants comme, par exemple : « ils t’ont violé ? »


Il s’agit de questions fermées qui appellent à des réponses binaires de type « oui » ou « non » et qui influencent le récit de l’enfant.


Quant au récit de décapitation d’enfants, Emmanuelle Walter souligne que la petite Marie n’en a jamais parlé au début de l’instruction. Cependant, elle a parlé de films montrant des meurtres d’enfants projetés sur écran. Les têtes décapitées apparaîtront suite à la répétition des entretiens.


Deuxième point :


Autre invité, Valéry Turcey, secrétaire général de l’Union Syndical des magistrats, déclare:


« Il ne faut pas partir du principe que c’est la parole de l’enfant contre la machine judiciaire»

« La parole de l’enfant n’est pas face à la machine. C’est un des éléments du traitement d’un dossier judiciaire »


Il a lu l’arrêt de la cour d’appel entérinant le non-lieu « solidement motivé » et rappelle que les déclarations des enfants ne sont étayés par aucun faits précis.

Valéry Turcey rappelle aussi que la brigade des mineurs a fait plusieurs tentatives de reconnaissance des lieux avec les enfants, mais sans succès. Quant aux déclarations de viols, les enfants ont été examinés au Centre Louise-Michel d’Evry qui n’a rien détecté.


Deux éléments mentionnés dans l’article de Libération du 11 mai 2000.



Troisième point : Les écoutes téléphoniques


L’une des journalistes d’Arrêt sur Images a réussi à se procurer le texte intégral d’une écoute exploitée dans le reportage.

Voyons l’extrait sélectionné par la réalisatrice et la suite non montée dans le reportage.



Selon Emmanuelle Walter, la journaliste n’aurait eu qu’un « vague souvenir » de cette écoute.

Pour compliquer les choses, Emmanuelle Walter précise que le père avait des fuites du témoignage des enfants devant le Juge des enfants, et la Brigade des mineurs pensaient qu’il savait qu’il était sur écoute.


Un mois plus tard, « Arrêt sur Images » revient sur le sujet.

Daniel Schneidermann déclare que la journaliste a « consciemment ou inconsciemment » écarté les éléments qui ne servaient pas sa démonstration. En résumé, flagrant délit de biais de confirmation.

Du côté de France 3, c’est le silence radio.



Conséquences


Martine Bouillon sera convoquée par sa hiérarchie sur l’affaire des « charniers ».

Les situant en Seine-et-Marne dans un premier temps puis dans les Yvelines, les parquets des deux départements sont consultés.


Si elle maintient ses propos devant les journalistes, le résultat est nette et sans ambages: il n’existe aucune trace d’instruction en cours ou d'instructions closes.


Contactée par « Arrêt sur Images », la magistrate avoue que sa source n’était qu’une discussion qu’elle avait eue lorsqu’elle était juge d’instruction 13 ans auparavant !

On est loin d’une affaire en instruction.



Quant à Georges Glatz, ses déclarations potentiellement diffamatoires envers la magistrature françaises lui vaudront d’être mis à l’écart du Comité international pour la dignité de l’enfant en septembre 2002.



La prétendue censure


Sur la prétendue censure de l’INA, on est dans le fantasme total.

Si la vidéo est introuvable sur Youtube, c’est en raison d’une atteinte aux droits d’auteur.

La vidéo est toujours référencée sur un site de l’INA et vous pouvez la consulter moyennant finance (pour une maison de production documentaire, par exemple).


Autre institution de l’audiovisuel public, le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) a émis des réserves dans son bilan sur France3 en 2000, page 59 :


« Le Conseil a également fait part à France 3 de ses réserves sur l’émission Paroles d’enfants diffusée en mars et intitulée «Viols d’enfants: la fin du silence». Si l’émission présentait une enquête étayée sur un sujet important (les pratiques sectaires pédophiles), deux éléments appelaient cependant une réserve: en premier lieu, la citation d’écoutes téléphoniques qui, sorties de leur contexte, pouvaient voir leur sens modifié ; en second lieu, les graves propos d’une magistrate concernant l’existence de charniers d’enfants en région parisienne lors du plateau qui suivit la diffusion du reportage. »


(Source : http://archive.wikiwix.com/cache/display2.php/f3.pdf?url=http%3A%2F%2Fprod-csa.integra.fr%2Fupload%2Fpublication%2Ff3.pdf)


Alors, peut-on vraiment parler de censure ? Non.



Conclusion:


Il ne s’agit pas de nier l’existence de trafic d’images pédocriminelles, ou d’affaires comme le réseau d’Angers (jugé en 2006 et 2007) ou encore le cas Jeffrey Epstein.

Ces dossiers sordides ont fait l’objet d’enquêtes, d’interpellations et de condamnations. Un sujet important qui nécessite de vrais moyens efficaces pour les service de police et de gendarmerie, tout comme l'écoute et l'accompagnement des victimes.


Mais la prétendue censure de cette émission n’est qu’un mensonge supplémentaire exploité par la complosphère pour conforter leurs croyances.

Croyances sinistres et macabres reprises ad nauseam sur des plateformes vidéo (Odysee, par ex.), utilisées comme base idéologique dans l’affaire du Pizzagate ou la sphère conspi QAnon.


Alors n’oubliez pas, l’esprit critique ne s’use que si on s’en sert


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